Interview Ouest France avec Marie-Stéphanie ABOUNA, enseignante-chercheure à l’ILEPS

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« Le football féminin souffre cruellement d’un manque de moyens »

Dossier par Virginie BACHELIER publié sur le site de Ouest France le 18 mars 2018 avec la participation de Marie-Stéphanie ABOUNA, enseignante-chercheure à l’ILEPS

La récente grève des joueuses guingampaises a mis en lumière les conditions d’exercice des footballeuses de l’élite féminine. Bien loin du quotidien de leurs homologues masculins.

« Les footballeurs sont trop payés ». Qui n’a jamais entendu ça ? Une chose est sûre en tout cas, cette phrase ne s’accorde pas au féminin. En France, certaines joueuses de première division ne sont même pas payées du tout. D’autres le sont, mais pas assez pour en vivre correctement, malgré un niveau de performance suffisant pour leur ouvrir les portes de la sélection nationale.

Le problème n’est pas nouveau, mais il a fini par éclater au grand jour un soir de février, quand les Guingampaises ont décidé de boycotter l’entraînement auquel devait assister Corinne Diacre, entraîneure de l’équipe de France. Une grève sous forme de protestation plus large que celle des salaires.

Les conditions d’entraînement, les moyens mis à disposition sont aussi montrés du doigt. Comme ces allers-retours à Saint-Brieuc pour les séances ou ces interminables déplacements en car. « Imaginez que ces filles-là, elles arrivent à performer comme ça, avec 36 heures de bus dans les jambes, explique une source proche des joueuses. Elles arrivent le lundi matin à 6 h, elles reprennent le boulot à 9 h pour la plupart… Pour gagner 150 euros brut par mois pour certaines, les plus hauts salaires n’excédant pas 2 000 euros brut. La plupart des filles sont dans une précarité extrême. Elles survivent, chaque mois, avec un petit boulot d’appoint à côté. »

Deux vitesses et un fossé

Une réunion dans la foulée avec le président d’En Avant, Bertrand Desplat, a fini par calmer le jeu. Fred Legrand, vice-président et directeur commercial, a été nommé président délégué à la section féminine jusqu’à la fin de saison, un poste qui n’avait pas été remplacé après le départ, l’année précédente, de Gilbert Castel. Les choses vont-elles évoluer pour autant ? « Je sais très bien que rien ne va changer », prédit la source proche des Guingampaises qui, elles, ne s’expriment plus sur le sujet.

Le cas des Costarmoricaines n’est pas isolé. Si la D1 féminine tourne à deux, voire trois vitesses, c’est parce qu’il existe un écart abyssal entre les conditions d’exercice des Lyonnaises, Parisiennes et Montpelliéraines, et des autres. Quand les unes sont toutes professionnelles, bénéficient des infrastructures de leurs homologues masculins et flirtent, pour les meilleures, avec des salaires à cinq chiffres, les autres s’entraînent sur des terrains pas toujours de première fraîcheur, le soir, après une journée de travail loin des pelouses.

« Il y a toujours ce fossé entre l’OL et le PSG, et le reste », constate Marie-Stéphanie Abouna, enseignante-chercheure, qui travaille notamment sur la féminisation du football.

Malgré ses plus de 160 000 licenciées, l’armoire à trophées européens bien garnie des Lyonnaises, et des discours encourageants, la femme reste le parent pauvre du ballon rond dans l’Hexagone. Avec un petit million de droits télévisés pour la D1, quand la Ligue 1 rêve de bientôt atteindre le milliard, le contexte économique séparera toujours considérablement les deux sexes.

Mais le foot féminin ne demande pas de rattraper les hommes. Juste de s’harmoniser dans des conditions décentes. « Ça change petit à petit, mais je pense que la Fédération doit continuer ses démarches, préconise Marie-Stéphanie Abouna. Il faut une volonté institutionnelle. Mais il ne faut pas que ce soit « un pas en avant, un pas en arrière », qu’il y ait des discours officiels mais pas les moyens derrière. On a la recommandation de la création d’une équipe féminine dans chaque club pro, mais on voit bien que ça traîne un peu des pieds. Les équipes féminines n’ont pas du tout le même statut partout. On peut légiférer, mais il y aura toujours des clubs qui vont préférer payer des amendes plutôt que de créer une section féminine. »

Le nerf de la guerre, comme partout, restera toujours l’argent. Jean-Michel Aulas s’enrichit-il vraiment grâce à sa brillante équipe féminine ? Sûrement pas, mais en réinjectant chez les filles l’argent généré par la Ligue 1, il offre, en plus d’une belle image au club, la possibilité aux joueuses de grandir. Le jeu en vaut la chandelle.

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